Trois
jours étranges dans le Limousin. Le premier jour, Annick
va fort. Elle ressent ce dont tout coureur d'ultra rêve :
la sensation du mouvement perpétuel. Son corps est
rôdé et elle le sent. Deuxième jour, beaucoup
de mal sur les 20 derniers kilomètres de l'étape.
Et le troisième jour, c'est reparti pour une grande
journée, racontée par ses accompagnateurs, Nicole
et Jean-Didier.
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Vendredi 6
septembre 2002 : Etape 10 - St-Sulpice-les-Feuilles
- Bourganeuf
64 km (651 km au total)
"Alors,
le Limousin, c'est joli ?"
"Sur la route, escortée par des limousines, ça
va mieux !"
C'est bon, Annick a la pêche. Elle a même eu la
gnaque aujourd'hui pour cette première journée,
sur trois prévues, dans... oui c'est ça :
dans le Limousin, avec les limousines.
"Je
suis partie très doucement, en faisant les cinq premiers
kilomètres avec Marianne [Blangy], puis j'ai rattrapé
Stephanie vers le 25e kilomètre." Et au
final, 45 minutes de mieux qu'il y a deux jours sur la même
distance. Car aujourd'hui, il s'est passé quelque chose
dans la tête, et surtout dans les jambes d'Annick :
"J'ai senti que mon corps
était rôdé. C'est une sensation étonnante.
J'ai dépassé la phase de préparation,
d'apprentissage, et je n'ai plus qu'à mettre un pied
devant l'autre." Et ça pourrait durer des
semaines. Peut-être.
La route, génératrice
de blessures
On peut affirmer sans craindre de
trop se tromper que la totalité des blessures
des Transe Gaulois, c'est la route qui leur offre. Lors
du brieffing de Roscoff, le premier jour, Annick n'a
pas osé poser la question : Courir tout
le temps à gauche, ça doit être
traumatisant à la longue, non ? Oui.
Selon Annick, toutes les blessures viennent de ce dévers
constant qui oblige la jambe droite à se poser
avant sa voisine. Le corps compense, crée de
petites douleurs locales, qui obligent à adopter
une position antalgique et qui crée à
leur tour des blessures, éventuellement plus
graves.
A ce jeu de dominos, les coureurs peuvent souffrir des
pieds à la tête, ou peu s'en faut. Annick
regarde chaque matin ses chevilles enflées, surtout
la droite, mais qui une fois chauffées ne la
font plus souffrir ; elle croise les doigts pour que
le genou ne se manifeste plus et aujourd'hui, c'est
la cuisse qui a fini par lui faire mal vers le 45e kilomètre.
Cette fois, c'est une douleur musculaire.
"Je me suis forcé
à respirer, comme une femme qui accouche, et
la douleur a fini par passer." La respiration
décontracte, la décontraction fait disparaître
la douleur. Aux dominos de la douleurs répondent
les dominos de la guérison. Encore un petit truc
appris sur la route.
Infos
Bernard Grojean a pu repartir aujourd'hui, mais avec
des roues voilées. Rainer Koch en profite pour
prendre la tête de l'étape et de la course.
(Source Yanoo.net)
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Sur UFO : Transe
Gaule | Le
parcours | Participants
Sur Yanoo.net : Les
résultats de la dixième étape
|
Les douleurs continuent (voir encadré)
mais c'est le premier jour où Annick peut apprécier
la Transe Gaule à 100 %. En fin de parcours, elle
est même surprise lorsqu'elle entend ses suiveurs lui
annoncer 13 kilomètres alors qu'elle pensait plutôt
à 19. "Je me disais
que j'avais fait une bêtise et que j'allais le payer
demain." Qu'à cela ne tienne, cette journée
est passée, et avec elle, toutes les balises d'une
vie normale : "Nous
sommes vraiment entrés dans un monde à part.
Je n'ai plus de repères. Les kilomètres, les
temps, les jours, ne veulent plus rien dire."
C'est un épisode de la Quatrième
Dimension qui se joue en ce moment sur les routes de
France.
Et ces nomades étranges
qui s'installent chaque jour dans un trou perdu profitent
du départ pour rigoler. Ce matin, comme avant-hier,
les premiers sont partis devant, se sont - volontairement
- trompés de chemin, pour revenir derrière les
derniers et profiter d'une bonne rigolade.
Puis Annick est montée en
charge, sans avoir "le souci
des autres" et avec une seule envie : avancer,
arriver le plus vite possible. "J'ai
senti que le corps pouvait faire quelque chose."
Elle a été un peu seule ce qui, après
une journée comme hier, en compagnie de Stephanie Ehret,
lui a donné une impression étrange. Une impression
vite oubliée tellement elle avait envie d'en découdre.
Elle finit en 8h44 et, de fait, la plupart des coureurs ont
apparemment augmenté leurs moyennes. Demain, peu de
kilométrage - 49 km - mais une longue côte
de plus de vingt kilomètres.
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Samedi 7 septembre
2002 : Etape 11 - Bourganeuf - Peyrelevade
49 km (700 km au total)
Deuxième étape limousine
aujourd'hui, avec passage de la Creuse (23) à la Corrèze
(19). Au kilomètre 15, Annick se sent bien, elle négocie
de belle manière la côte de départ, longue
de 22 kilomètres, lorsque Rémy Normand la double.
Cela méritait bien qu'on s'y attarde un peu dans le
zoom du jour...
Le circuit a été
aujourd'hui très agréable, tout comme hier,
et la côte tellement crainte n'a été qu'une
formalité. "Elle
n'a pas été très éprouvante et
comportait de nombreux faux plats", raconte Annick.
Sauf peut-être le premier "mur" de 500m, peu
après le départ, que Bernard Grojean a eu beaucoup
de mal à franchir dans son handbike réparé.
Il ne rattrape ensuite Annick que vers le 25e kilomètre.
Après l'arrivée, il racontera avoir également
beaucoup souffert dans la dernière côte, peu
avant l'arrivée, et mis une bonne demi-heure pour gravir
3 malheureux kilomètres.
Rémy-Terminator Normand :
le retour
Nous l'avons vu avec une canne.
Nous l'avons vu avec des ampoules à vif. Nous
l'avons vu négocier les descentes à reculons
pour ne pas souffrir. Tout ça, il l'a fait sans
jamais perdre son humour. Aujourd'hui, Rémy
NORMAND recueille le fruit de son
opiniâtreté et de sa souffrance :
il double Annick au 15e kilomètre - en courant
- et finit en environ six heures. Il racontera à
l'arrivée que ça fait décidément
du bien de courir, que le temps passe plus vite et que
tout compte fait, c'est bien plus agréable.
Il se paie donc le luxe d'une étape à
8,15 km/h, contre une moyenne, après les 9 premières
étapes, de 6,6 km/h. Il a même eu droit
à la chansonnette de rigueur en doublant Annick :
"Rémy est ressuuuuscité !"
Ressuscité, il en profite pour ouvrir les yeux
tout grand et analyser ses nouvelles sensations. Fana
du cardio fréquencemètre, qu'il ne quitte
jamais, il expliquera à Annick qu'il a l'impression
que son coeur se renforce, battant à 120 pulsations
par minute là où il aurait avant la Transe
Gaule les 140. Après l'arrivée, comme
tous les soirs, il fait sa séance d'électrostimulation.
Peut-être l'une des causes de sa remontée
en forme.
Infos
Philippe
FAVREAU, pourtant en deuxième
position des coureurs "valides" hier, abandonne
aujourd'hui. Selon les informations données par
Annick, ce serait un problème de tendon d'Achille.
"Il est parti en marchant
ce matin et je crois qu'il a stoppé vers le 15e
km."
Peter
BACKWIN, quant à lui, continue son
calvaire et arrive aujourd'hui à 3 minutes à
peine sous le temps limite. Espérons que l'exemple
de Rémy lui redonne le moral. Sa femme, Stephanie
EHRET, semble aller un peu mieux,
terminant tout de même environ une heure derrière
Annick.
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Sur UFO : Transe
Gaule | Le
parcours | Participants
Sur Yanoo.net : Les
résultats de la onzième étape
|
"En
ce qui me concerne plus personnellement, j'ai fini un peu
dans la douleur à partir du 30e. Là, ça
devient embêtant, j'ai vraiment plus envie de souffrir,
ni de me retrouver comme il y a trois jours."
Pour corser le tout, deux chiens, sûrement bien intentionnés,
ont tenu à faire un bout de chemin avec elle. "Ils
haletaient, tournaient autour de moi, ils m'ont agacé
et comme je ne donne pas de coups de pied aux animaux, je
leur ai crié de se barrer !"
Ces événements de
nature à changer les idées n'ont pas empêché
la tendinite au genou de réapparaître, faisant
ensuite remonter la douleur dans la cuisse. Annick termine
malgré tout en 6h36, soit 7,42 km/h, ce qui est mieux
que sa moyenne générale, calculée à
la fin de l'étape 9 à 7,14 km/h. Après
la ligne, Christophe Rochotte lui a prodigué un gros
massage réparateur.
A l'arrivée, le charme inégalable
des petits villages reprend le dessus. Pot d'accueil, gâteaux
et gentillesse en prime. Le gymnase n'étant pas chauffé
(il gèle la nuit à Peyrelevade) et la salle
prévue initialement étant prise, les habitants
ont proposé aux coureurs de dormir en gîte. "C'est
bien, mais ça casse un peu le groupe, déplore
Annick, sans donner l'air de faire la fine bouche. Je
commence à bien aimer les gymnases."
Pour demain, Annick ne prévoit
rien. "Je ne fais plus de
pronostics parce que je pensais que ça allait bien,
hier"... et finalement, pas tant que ça.
"Je sais juste qu'il y a
la mer qui m'appelle, comme chantait Moustaki."
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Dimanche 8
septembre 2002 : Etape 12 - Peyrelevade - Neuvic
51 km (751 km au total)
"Nous
sommes toujours aussi motivés à 6 jours de l'arrivée."
Le pluriel vous aura peut-être mis sur la voie : ce
n'est pas Annick qui parle aujourd'hui mais ses suiveurs,
Nicole et Jean-Didier, qui font le point sur cette expérience
assez inhabituelle.
"Je
trouve que c'est une expérience à vivre, il
y a une super ambiance, et les coureurs sont impressionnants,
je leur tire mon chapeau." Nicole, dithyrambique,
se charge de conduire, de la vaisselle, de la cuisine. "De
nombreuses choses m'épatent depuis le début.
Chez moi je ne marche pas alors qu'ici il m'arrive de courir.
Cela me plaît, même si parfois je peine."
Jean-Didier, technicien SAV à la retraite, est quant
à lui chargé d'aller à la rencontre d'Annick,
de préparer ses potions, de charger et décharger
les bagages. Il aide aussi un peu à la cuisine.
Les accompagnateurs d'Annick et
les autres...
Pas forcément facile de se
retrouver du jour au lendemain complètement immergé
dans le milieu de l'ultra, à suivre des fêlés
montés sur ressorts. Pourtant, Nicole et Jean-Didier,
les accompagnateurs d'Annick, s'y sont fait très
vite. Le regard qu'ils portent sur les Transe Gaulois
est plein d'admiration.
Admiration pour le couple d'Américains, Peter
Backwin et Stephanie Ehret. Lui est arrivé hier
la cheville en sang. Elle a failli se perdre il y a
quelques jours et les a retrouvé en larmes au
détour d'un panneau de signalisation... Admiration
aussi, bien sûr, pour Rémy Normand, qui
avec sa "volonté
incroyable" a couru un jour 30 km sans
ravitaillement. Et admiration, bien sûr, pour
l'ensemble des coureurs, pour les organisateurs, qui
transforment une épreuve inhumaine en aventure
elle, par contre, tout ce qu'il y a de plus humaine.
De fait, Nicole et Jean-Didier n'ont pas beaucoup le
temps de discuter avec les coureurs ni avec les autres
accompagnateurs. Leurs journées, longues et éprouvantes,
sont toutefois émaillées de signes, d'appels
de phares, de petits coups de klaxon en direction des
autres suiveurs. Pas la peine d'en dire plus, ils se
comprennent.
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Sur Yanoo.net : Les
résultats de la douzième étape
Classement officieux après
12 jours
Classt |
Nom |
Temps cumulé
|
Moy (km/h) |
1 |
Rainer Koch |
62h29'
|
12.02
|
2 |
Bernard Grojean |
67h24'
|
11.14
|
3 |
Jean-Claude Le Gargasson |
68h08'
|
11.02
|
4 |
Serge GIrard |
69h07'
|
10.87
|
5 |
Luc Dumont |
71h16'
|
10.54
|
6 |
Guus Smitt |
72h45'
|
10.32
|
7 |
Hervé Goarant |
72h48'
|
10.32
|
8 |
Philippe Dieumegard |
72h54'
|
10.30
|
9 |
Jan Ondrus |
77h33'
|
9.68
|
10 |
Trond Sjaavik |
78h27'
|
9.57
|
11 |
Ria Buiten |
80h
|
9.39
|
12 |
Karlheinz Kobus |
81h14'
|
9.24
|
13 |
Jacques Martin |
83h50'
|
8.96
|
14 |
Eric Kréa |
86h36'
|
8.67
|
15 |
Daniel Muller |
90h41'
|
8.28
|
16 |
Jean-Claude Reant |
94h34'
|
7.94
|
17 |
Stephanie Ehret |
94h54'
|
7.91
|
18 |
Peter Backwin |
95h02'
|
7.90
|
19 |
Don Winkley |
100h01'
|
7.51
|
20 |
Annick Le Moignic |
103h43'
|
7.24
|
21 |
Rémy Normand |
110h24'
|
6.80
|
22 |
Marianne Blangy |
121h19'
|
6.19
|
23 |
Philippe Grizard |
126h19'
|
5.94
|
abandon |
Philippe Favreau |
11 étapes
|
tendon d'achille
|
abandon |
Jean-Bernard
Paillissier |
3 étapes
|
court hors course
|
abandon |
Bernard
Roy |
3 étapes
|
|
(source
Yanoo.net) |
Le duo semble fonctionner très
bien depuis le début de la course. Ils se sont réparti
les rôles et la journée-type ressemble désormais
à une vraie litanie de rituels : préparation
du petit-déjeûner, chargement et déchargement
de la voiture, départ avec plan détaillé
en mains, arrêt tous les 5 km... Le soir, ils sont
logés à la même enseigne que les coureurs,
dans le gymnase, à même le sol, et vivent comme
eux.
"A
midi, on grignotte, confie Nicole, et le soir on se fait un
vrai repas." Leur plus grosse appréhension,
c'est qu'Annick fasse 10 km sans ravitaillement. "C'est
arrivé une fois. Nous avons dû prendre une déviation
d'une trentaine de kilomètres, j'ai paniqué,
j'avais peur de la perdre."
Car les occasions de gripper la
machine sont légion pendant la Transe Gaule. Il faut
trouver de la place pour se garer et pouvoir ouvrir les portières ;
il faut s'arrêter au milieu des côtes pour encourager
dans ces moments difficiles ; il faut préparer
chaque ravitaillement en fonction des désirs d'Annick
lors du précédent ; il faut savoir aller
à sa rencontre, voire courir à côté
d'elle... Bref, le métier de suiveur, c'est dur !
Sa principale mission, ce couple
de retraités incroyable l'a très vite comprise :
tout faire pour qu'Annick arrive à Narbonne le 14 septembre.
A la question "Vous n'avez
pas envie de l'arrêter, parfois, lorsque vous la voyez
souffrir ?" Ils répondent d'une même
voix par la négative. Pour Nicole, "ce
n'est pas trop. Je comprends un peu les coureurs, je sais
ce qu'ils vivent, ils ont ça dans la peau".
Jean-Didier "essaie de donner
du courage". Dès le départ de Roscoff,
il a annoncé la couleur : "Je
suis avec toi pour que tu ailles jusqu'au bout."
Aujourd'hui, Annick a fait une
étape pleine d'ivresse, en 6h11 pour 51 km, soit 8,25 km/h.
"Elle a mis la gomme les
10 derniers kilomètres et n'a même pas pris le
dernier ravitaillement", raconte Nicole. A ce
rythme, l'arrivée approche à petite foulées.
Nicole et Jean-Didier y pensent peu, si ce n'est pour aider
Annick à l'atteindre. Eux aussi sont entraînés
dans un mouvement mécanique, quotidien et machinal.
Malgré tout, Nicole prévoit "de petites
larmes" après Narbonne-Plage...
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