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Je cherche toujours un truc pour commencer mes
récits de course, une anecdote, une parole, une pensée
qui permettrait de démarrer fort, de faire partir le
lecteur sur les chapeaux de roue, sur un résumé
éclatant de ce qu'a été cette journée...
A chaque fois c'est la même chose : c'est mon état
d'esprit du matin qui conditionne ma journée...
Tout commence donc au petit matin, au très
petit matin. Il fait encore nuit noire et un peu frais. A
4h30 en ce dimanche 26 mai 2002 de fête des mères,
je viens d'arriver à Bures-sur-Yvette, dans le département
de l'Essonne. Dans 30 minutes, je partirai pour ma plus longue
sortie jamais réalisée. Douze heures qui me
feront passer toute la journée à courir et courir
encore. Le pied, quoi.
De la décontraction au départ
Cette course, je l'ai déjà courue
en dilettante alors que j'étais à la fac, voilà
10 ans. Le parcours à l'époque était
très pentu mais j'avais tout de même fait, dans
cette folle jeunesse, environ 67 kilomètres pour 7
à 8 heures d'effort. J'étais parti et arrivé
comme sur un nuage, complètement inconscient de ce
que pourrait représenter pour moi ce type d'épreuve
quelques années plus tard. En tout cas, le virus de
l'ultra m'a sûrement pris un peu sournoisement ce jour
là.
Aujourd'hui, je gare ma toute nouvelle voiture
(c'est l'acquisition qui est neuve, pas la voiture...) tout
prêt de la ligne de départ. La plaque immatriculée
75 me donne le droit de me mettre n'importe où puisque
le parisien est de fait un emmerdeur. J'en profite mais de
toute façon personne ne me fait la moindre remarque.
En dehors de Paris on est de fait vachement sympa. Une légère
agitation naît à quelques mètres de moi.
Les frontales des organisateurs et de quelques coureurs qui
arrivent déjà se baladent dans le noir et je
comprends qu'il est temps d'aller m'inscrire. Je remplis ma
feuille, hésitant un peu à remplir la case "palmarès"
destinée à l'animateur... De toute façon,
je n'ai rien à mettre à part une sortie longue
de 52 km, quelques marathons, des médailles en
natation, et deux ou trois traversées de la France
en vélo. Tant pis pour lui, Papy Turoom devra s'en
tirer sans ça.
Papy Turoom, c'est l'animateur, l'organisateur,
le catalyseur. Je ne le connais que de nom, uniquement par
internet et j'ai vu sa photo, un jour, dans Jogging International.
Déjà les bénévoles et autres coureurs
locaux présents lui parlent avec décontraction
et bonne humeur. Pour un coureur comme moi qui va se flinguer
les muscles pendant 12 heures, c'est important, de sentir
de la décontraction. Papy Turoom et ses amis des Joggers
du Dimanche Matin (JDM) organisent ces 12 heures chaque année,
et chaque année, c'est gratuit. On retrouve les mêmes
à l'origine du désormais célèbre
Raid28.
Quelle comète, ce flambeau !
Je porte le numéro 6. J'ai mis les collants,
un t-shirt à manches longues et un autre à manches
courtes par dessus avec mon dossard. Le temps est frais mais
il devrait s'arranger avec les premières heures du
jour.
Une trentaine de lève-tôt se rassemblent
derrière la ligne, et le départ est donné
à 5 heures pétantes. Nous devrons tourner
autour du bassin d'expansion de Bures pendant 12 heures.
La boucle mesure un peu plus de 2,6 kilomètres et le
chemin est en grande partie composé de sable et de
graviers. Pas mal pour courir longtemps. Pas mal du tout.
En tout cas, ça change du parcours bétonné
d'il y a dix ans.
Les premières foulées, ce sont
mes préférées. Un coureur ouvre la route
avec un flambeau et déjà plusieurs groupes se
forment. J'écoute les conversations, les exploits des
autres : "Quand j'ai
fait Cléder, je faisais jusqu'à 120 km par semaine...
Le jour J, j'ai eu l'impression d'aller plus vite sur le deuxième
50 km que sur le premier, alors que finalement, je suis parti
à 11,5 km/h pour finir à 10,5 km/h." Le
grand barbu à short rouge, que je vais retrouver plus
loin, parle ensuite de tonus musculaire... Je me force à
ralentir un peu. Je n'ai pas l'expérience de ces sorties
longues et si lui part à cette vitesse, c'est que moi
je dois aller bien moins vite. Pendant ce temps, le flambeau
avance à une vitesse de folie, une vraie comète.
J'ai du mal à croire que les premiers arrivent suivre
la cadence. Et pourtant, si.
Calages techniques pendant les premiers
tours
A ce moment, je crois encore que chaque tour
mesure 2,2 km. C'était du moins l'indication donnée
par Papy Turoom lorsqu'il a annoncé sa course sur la
liste Jogging. Je boucle le premier en plus de 16'30 ! Incroyable !
A peine 8 km/h... Pendant ces premiers tours, un certain nombre
de questions existentielles essentielles vont assaillir mon
cerveau devenu malade : Est-ce que le balisage de mes
lieux d'entraînements est correct ? Est-ce que j'ai
bien mesuré mes rythmes ? Quand je cours à
10 km/h, suis-je vraiment à cette vitesse ?
Est-ce que le tour du bassin fait vraiment 2,2 km ?
Au bout de trois tours, le premier me double une première
fois. Il a donc une moyenne de 11 minutes au tour et comme
il va faire environ 130 bornes, une boucle complète
doit plutôt mesurer dans les 2,5 km...
Je reste fidèle à ma réputation
de toujours couper les cheveux en quatre en regardant depuis
le départ mon pouls. Il bat à 160 alors que
ma limite haute en endurance se trouve à 158. Mais
je n'ai pas l'impression d'aller si vite. De plus, si le tour
fait bien 2,2 km, il m'est psychologiquement impossible
de ralentir encore plus ! Je m'arrête deux minutes
après le 4e tour pour me changer en me disant que c'est
peut-être la chaleur naissante qui accroît mon
rythme cardiaque. Court vêtu, je respire mieux mais
les pulsations restent sensiblement à 158-160. Peu
importe, on verra bien.
Pendant les premiers tours, je m'occupe donc
l'esprit avec les calages techniques. Mon pouls doit baisser
un peu, je dois demander à un bénévole
combien mesure un tour, je dois me trouver une stratégie
marche/course qui tienne la route, je dois gérer mes
ravitaillements pour ne pas me gaver mais quand même
pouvoir tenir les 12 heures sans faiblir, je dois faire
un petit coucou à Papy Turoom en lui balançant
un petit mot spirituel qui lui donnerait un indice sur mon
identité. Pas de quoi s'ennuyer et peu à peu
tout se précise.
Un groupe très soudé avec
la première féminine
Au ravitaillement du 5e tour, je pose à
une bénévole la question des distances. Elle
me répond avec une voix claire et ne laissant aucune
place au doute : "2 kilomètres 600 et je
sais plus combien..." Aahhh ! Rapide calcul, je
suis sur une base de 110-115 kilomètres, arrêts
compris. Je peux donc continuer sur des tours chronométrés
entre 16'30'' et 17'. Je décide également assez
rapidement de manger et de boire un verre d'eau tous les tours
pairs et de prendre juste un verre d'eau les tours impairs.
Concernant la marche, là encore, je fais rapidement
le choix de courir les 100 m qui séparent la ligne
de départ du ravitaillement, puis de marcher à
chaque tour jusqu'à ce que le chrono (remis à
zéro sur la ligne) indique 2 minutes. Cela me fait
environ 1'30'' de marche à chaque tour. Ayant beaucoup
lu sur ce type d'épreuves, je sais que c'est moins
que le 1/5e de proportion de marche habituellement préconisé
- je devrais en effet plutôt marcher entre 3 et 4' -
mais tant pis. Tout ce petit train-train devient vite réflexe
et ne me quittera plus jusqu'à la fin (sur le principe,
du moins).
Les tours défilent à bonne allure
et sans soucis. La première heure, je double peu de
monde et vois même les trois ou quatre premiers me prendre
allègrement un premier tour. Leur manège continuera
durant toute la course mais à intervalles de plus en
plus longs. Eux aussi souffrent. Je cours à peu près
à la même allure qu'un vétéran
2 ou 3 qui est dans une forme physique remarquable, extrêmement
régulier, pas énervé. Il est à
une vingtaine de mètres devant moi pendant quelques
tours. Je le doublerai définitivement ensuite à
la faveur d'un arrêt un peu long.
Je repère également un autre groupe
qui me semble très soudé et qui le restera.
C'est celui qui s'est formé autour de la 1ère
féminine. Les trois ou quatre coureurs qui l'accompagnent
ne semblent pas être là pour l'aider et c'est
d'ailleurs assez surprenant. Ils prennent leur temps et fonctionnent
comme une équipe qui veut arriver entière au
bout des douze heures. Au fil de la journée, je ne
les jamais vus séparés de plus de 10 mètres
et de toute manière, ils s'arrêtent à
chaque tour pour repartir ensemble. Ils ont bien calé
leur rythme, même s'ils vont nettement ralentir au fil
de la course. Leurs pauses au ravitaillement sont plus longues
que les miennes et restent statiques. Pour ma part, je prends
vite la bouffe, je bois mon verre d'eau et mange en marchant.
La mi-course et pas de problème particulier
Pendant assez longtemps, ils seront devant moi.
Assez loin. Je les repère grâce au maillot rouge
d'un de ses membres. Puis, je commence à les rejoindre
aux ravitaillements, tandis qu'ils me doublent à nouveau
dans le même tour. Plus loin dans la matinée,
je les double sans qu'ils ne me rattrapent et enfin, à
la faveur d'arrêts plus longs de leur part, je finis
par leur prendre quelques tours avant la mi-course. Je reste
sur le même rythme pendant ces six premières
heures, avec juste l'introduction de quelques minutes d'étirements
toutes les deux heures. Elles se sont imposées à
moi naturellement et me font le plus grand bien.
D'autres coureurs rythment ma course, d'une certaine
façon. Ainsi, j'en rattrape certains vus au départ
et qui m'avaient un peu laissé sur place. Comme c'est
agréable de se dire qu'on a des heures et des heures
pour grignotter des places ! A aucun moment je ne m'inquiète
de ma position car je sais que je tiens une moyenne raisonnable.
Et mon seul objectif à ce moment là, c'est de
dépasser les 100 km. Si possible...
Vers le 10e tour - 22,5 km et environ 2h20 -,
j'ai le grand barbu au short rouge en point de mire. A chaque
fois que je le vois repartir du ravitaillement, il a une foulée
légère et bondissante. Il a l'air plutôt
bien et je ne comprends pas vraiment pourquoi l'écart
se réduit tellement j'ai l'impression d'être
lent. Un peu après 11 heures du matin - la mi-course
- je le double. J'ai fait 22 tours soit environ 58 km et je
prévois de m'arrêter à la fin du 23e pour
m'étirer.
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