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Les 12 heures de Bures-sur-Yvette
Sur la route des 100 bornes et des 24 h
(mis en ligne le samedi 1er juin 2002, modifié le 8 juillet 2002)
Vingt-deux tours et 58 kilomètres à la mi-course. Une drôle de surprise m'attend à la faveur de mon arrêt étirements...

Texte et photos : Philippe Giovanelli


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Cet arrêt va marquer un tournant dans mon esprit. Alors que je courais en dilettante, j'entends les commentaires ravageur de Papy Turoom et notamment l'annonce des classements à mi-course. Je savais même pas qu'il y avait un classement ! Il commence par les dames, en partant de V3, et en toute logique finit par les seniors, dont je fais partie. Je commence à me dire que je n'ai pas vu beaucoup de gars de mon âge devant moi... Et j'entends finalement que je suis troisième. C'est pas que je sois fondu de compétition ni de médailles, ni de coupes, et je n'aime pas trop l'idée de battre quelqu'un à part moi-même... mais je sens l'instinct du chasseur naître en moi. Malgré tout, une seule chose change fondamentalement dans ma façon d'appréhender la course : je finirai les 12 heures, même si je dois terminer en rampant !

Je ne le sais pas encore à ce moment-là, mais de toute façon c'est le commencement de la fin... 24e tour en 22'45'' étirements compris, 25e en 18'07'', 26e en 19'06''... la baisse de forme est arrivée insensiblement, sans vraiment que je m'en rende compte, ni que je puisse rien y faire. C'est comme ça. Depuis le 16e ou 17e tour environ, j'observe ainsi une légère dérive cardiaque sur mon cardiofréquencemètre qui indique des pulsations à 165 de moyenne. J'en tiens compte en ralentissant, en allongeant à chaque tour le temps de marche, jusqu'à ce que je me rende compte que les douleurs ne me laisseront de toute façon plus tranquille.

Pluie glaciale et pause massage

Dès le début de ce déclin, je pense à plusieurs choses. D'abord à Jamel Balhi, qui situe la difficulté de l'ultra entre le 60e et le 80e kilomètre, en la considérant plus psychologique que physique. Bon, je ne suis pas Jamel Balhi, cette pensée ne m'est pas d'une grande aide... Je pense aussi à un phénomène intéressant que j'ai lu dans plusieurs compte rendus d'ultras : le retour de forme. Pour moi et mon expérience de marathonien, le mur, c'est la fin de tout. Pfiou ! Plus rien, plus de jus. Or, ces dernières semaines j'ai été frappé de lire plusieurs expériences de coureurs qui selon toute apparence avaient passé ce cap douloureux. Donc, je mélange un peu tout ça, je secoue bien, et je me dis finalement qu'en mangeant bien, ça devrait passer après le 80e... Avec bien sûr une fin au sprint.

Manque de pot, je ne me sens pas spécialement fatigué... J'ai surtout des courbatures, le tendon d'Achille gauche tendu au maximum, le grand adducteur droit qui hurle à l'aide et les coups de pied en feu. On se rassure comme on peut : aucune de mes douleurs "habituelles" - à la hanche ou aux genoux - ne se fait remarquer. Avant d'avoir définitivement des mauvaises nouvelles à lui annoncer, j'appelle ma moitié. Elle n'a pu venir mais je m'efforce de la rassurer. De son côté, elle me prodigue son attention pour ces quelques fugitives minutes. Je prends ça comme une sorte de massage psychologique bienvenu à ce moment de la course. Et je repars... sans le téléphone !

Après deux tours de pluie battante, froide et soudaine, je décide de faire une pause massage vers 12h30. C'est la fin de mon 27e tour, je passe l'arche du départ et m'oriente vers la pelouse sur la droite, le long de l'Yvette. Qui c'est qui masse ? Je regarde les gens qui sont là, tente de croiser un regard, quelqu'un qui comprendrait sans que j'aie besoin de m'égosiller... Un gentil monsieur me fait un grand sourire : "Un massage ?" Ah oui ! Oula, ça se voit tant que ça... Hop, me voilà sur la planche, la tête confortablement calée pour dix minutes de bonheur musculaire. En repartant, j'ai l'impression que je vais pouvoir partir comme un cabris. Deux pas plus tard, je déchante et repars en clopinant.

L'état psychologique idéal

Comme il faut bien s'adapter, je décide de marcher désormais 4 minutes au début de chaque tour ainsi que dans les quelques légères montées. Je tiens trois tours à ce rythme. Vers la fin du 30e, je croise mon masseur qui doit rentrer chez lui. Il est en vélo, toujours tout sourire, et me demande si ça va. Bien sûr je lui réponds : "Oui oui, pas d'problème !" . Une façon de le remercier, en somme. Mais j'ai de plus en plus de mal à trottiner et je pense simultanément : "NON !!! ça va PAS DU TOUT !!! mais alors pas du tout !" Bon, j'en rajoute sûrement un peu, c'est pas si terrible. Un peu plus loin, je double un autre coureur à la dérive. Je lui souhaite bon courage. L'échange de sourires est bref, mais réconfortant. La galère, ça unit. Toujours dans le même tour, je passe deux marcheurs à peine moins rapides que moi mais bien plus frais : "Hé mais il est bien régulier le numéro 6 !" Je grommelle un truc et tente un sourire. Je sais que le prochain tour se fera en marchant. Et peut-être aussi les suivants. Au bout du tour, il me dépasseront et je ne les verrai plus...

Au ravitaillement suivant, je retrouve le dernier coureur doublé. On s'étire en même temps, tout en se jaugeant, mais pas à la manière de deux adversaires. Plutôt pour se sentir un peu moins seuls. En somme, lui aussi est complètement décalqué, et ça aide un peu à repartir. Je suis en plus mauvais état que lui puisque je ne peux plus que marcher. Je marche donc, et du plus vite que je peux, en tirant sur les bras. Etirements compris, je mettrai 32'47'' à boucler le 31e tour, puis 26'37'' pour le suivant.

En marchant, je n'ai rien à faire, alors je laisse mon esprit tenter de prendre le contrôle de mes douleurs. J'essaie de trouver un état psychologique idéal, me raconter une histoire, me transposer dans un conte qui donnerait à ces 12 heures une dimension plus motivante. Je me vois tour à tour indien Tarahumara courant pendant des jours pour capturer un cheval sauvage puis, plus prosaïquement, je m'imagine courant pour alerter les secours d'un accident terrible. Oui, c'est con, mais à ce moment là ça change les idées. En tout cas, pendant ce temps, je suis toujours autour du bassin de Bures à marchouiller comme un pingouin.

Au début du 32e tour, ma chère maman vient souhaiter sa fête elle-même à son fils indigne qui a choisi ce jour-là pour faire ses bêtises. Comme je marche, elle fait quelques mètres avec moi, et finalement le tour complet ! Si on m'avait dit qu'un jour elle me suivrait sur une course, j'aurais pouffé avec désinvolture. Je me serais peut-être même étranglé. Nous bouclons le 33e tour en 27'07''. Je ne m'arrête plus au ravitaillement. Mon père me file la bouteille d'Isostar après la ligne et je ne mange plus rien, ça passe plus.

Deux p'tites fleurs...

Il reste 1h30 avant le gong final, donc trois tours. Je suis deuxième et je sais que la troisième place de Senior est gagnée si je ne fais qu'un tour. La fin de ma souffrance peut s'arrêter dans une petite demi-heure... Je n'ai pas vraiment mal, puisque j'adopte la position de marche qui ne tire ni sur le tendon d'Achille, ni sur les coups de pied, ni sur le petit orteil gauche compressé dans la chaussure... Je dois avoir une démarche bizarre. On pourrait appeler ça, la démarche adaptative, si on veut parler joliment. Sinon, on peut aussi dire que c'est juste n'importe quoi.

Je fais seul le 34e tour puisque ma mère doute un peu de ses capacités physiques et trouve que je vais quand même un peu vite. Elle décide de finir avec moi et m'encourage même à m'accrocher. Ce n'est pas que j'en ai vraiment besoin, mais sait-on jamais. En tout cas, c'est vachement agréable de voir qu'elle comprend bien cet effort. A aucun moment elle ne me dit d'arrêter, même si je grimace de temps à autre. Selon mes calculs, boucler 35 tours devrait m'assurer la deuxième place de Senior. J'ai identifié le troisième actuel et il est encore loin. Quant au premier, le barbu au short rouge, il y a bien longtemps qu'il m'a rattrapé, doublé, redoublé, etc. Il doit m'avoir pris plus de 5 tours depuis mon massage.

L'envie me prend un instant de m'arrêter à la fin du 35e. Bah, un tour de plus, qu'est-ce que c'est ? Et puis, je veux me rapprocher le plus possible de la barre des 100 bornes. J'en suis à 92 km environ. Encore un petit tour et je ne serai plus qu'à 5 ou 6 kilomètres du 100 en une seule et même étape. Sans me chercher d'excuse, pas besoin d'ailleurs, ça sera pas mal du tout vue ma préparation actuelle, conçue pour m'emmener mi-juin au marathon du Mont Saint-Michel. J'ai quasiment 40' pour finir le 36e tour. Je les prends et je boucle mes 12h en 11h55'27''. Ma mère est là mais s'écarte pour ne pas passer la ligne. Elle aurait pu, même sans dossard. J'ai quand même pu lui offrir deux p'tites fleurs des champs cueillies sur le bord du chemin. Je me rattraperai l'an prochain, ici-même, et sur tous les tableaux. Promis.

Epilogue

Passé la ligne d'arrivée, je "fonce" au stand d'ostéopathes car les masseurs ne sont déjà plus là. Les ostéopathes font malheureusement passer leur dernière coureuse avant de partir. Je n'insiste pas car ils ont dû pas mal bosser pendant ces 12 heures.

Deux charmantes dames me félicitent en repérant que j'avais fini les douze heures. On discute et je les remercie, un peu gêné. J'hésite entre partir tout de suite et attendre la remise des coupes. Je sais que malheureusement je ne pourrai pas parler à Papy Turoom, absorbé par son rôle d'animateur. Par contre, la moindre des politesses, pour le remercier ainsi que les bénévoles, c'est de ne pas leur imposer un podium avec seulement deux coureurs. C'est pas terrible, ça.

Je reçois ma coupe, super gêné, mais je crois que je pourrai m'habituer ! Il m'en faudrait quelques unes de plus.

Je remercie mes parents. Encore une fois. Encore une fois. Encore une fois. ça en devient ridicule.

Je repense aux bénévoles et aux coureurs d'aujourd'hui, surtout les lents, les opiniâtres. Je pense à cette femme vétéran 3 qui m'a impressionné la première fois que je l'ai doublée et toutes les autres. Elle m'a aussi impressionné par sa fraîcheur à l'arrivée.

Et bien sûr, les premiers, les vétérans : des princes de la route.

Le lendemain de la course, impossible de marcher. Le surlendemain, ça va mieux. Au bout de deux jours, la douleur au tendon d'Achille a quasiment disparu. Reste quelques courbatures sans importances, il me semble...

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