Quelle idée saugrenue ! Certes,
il y a de nombreuses raisons de se méfier d'un kilométrage
élevé. Nous n'en parlerons pas ici. Comme rappelé
dans l'article sur les principes de démarrage
de l'ultra, l'entraînement long, et notamment la
sortie longue, constitue la base psychologique et physiologique
du coureur d'ultra. La répétition à grande
échelle du même geste permet, outre de développer
son endurance, d'en faire une seconde nature.
La montée en charge dans la littérature
On entend beaucoup d'avis, parfois contradictoires,
sur la montée en charge et l'importance de la sortie
longue. Pour vous faire une opinion, en voici quelques uns
résumés.
A- Faites la moyenne de vos 5
plus longues sorties de l'année passée.
Ajoutez-y 15% et ne dépassez
jamais cette distance à l'entraînement. De plus,
n'ajoutez au maximum qu'un seul entraînement hebdomadaire
chaque année par rapport à ce que vous êtes
capable de faire. Cet entraînement prendra la forme
d'une séance tranquille durant 30 à 50 minutes.
(Source : Bruno Cavelier - Irina Kazakova)
B- Pour la sortie longue, prenez la plus grande
distance que vous ayez courue pendant les trois dernières
semaines et augmentez chaque semaine de 1,5 kilomètres
jusqu'à arriver à 20 kilomètres. A partir
de là, augmentez la distance couverte lors de cette
sortie longue de 3 kilomètres tous les 15 jours. Pour
un marathon, on stabilise à 32 kilomètres. Ce
sera avec le démarrage de la phase de travail de la
vitesse que vous pourrez penser à aller plus loin,
selon le même principe, jusqu'à atteindre 45
à 48 kilomètres. Concept clé : on
augmente le kilométrage total en augmentant celui de
la sortie longue et non pas en chargeant le reste de
la semaine. (Source : Jogging et course
de fond - Jeff Galloway)
C- Lorsque vous atteignez 90 kilomètres,
vous pouvez augmenter le kilométrage de 10% chaque
semaine pendant trois semaines. La quatrième semaine,
revenez au kilométrage de départ. Puis recommencez
un cycle de quatre semaines en
partant du kilométrage couru lors de la troisième
semaine du cycle précédent. Cette façon
graduelle de procéder permet de trouver plus facilement
le point critique au-delà duquel ne pas aller. (Source :
Lee Findler, entraîneur à Atlanta, Etats-Unis)
D- Un principe général souvent
rencontré dans la littérature consiste grosso
modo à augmenter progressivement son kilométrage
pendant trois ou quatre semaines, observer une semaine de
récupération, puis tenir
un mois le kilométrage de la dernière semaine...
Inutile d'aller plus loin. De ce qui précède,
retenir le principe de montée progressive d'une semaine
sur l'autre ainsi que celui de semaine de récupération.
Et bien sûr, le point de démarrage de votre opération
de montée en charge dépend de votre kilométrage
moyen et de votre niveau de pratique. Ces principes concernent
essentiellement les marathoniens mais nous sommes coureurs
d'ultra et souhaitons tailler la route ! Avant de continuer
cette passionnante lecture, dites-vous quand même qu'il
faut des mois, voire des années avant de pouvoir encaisser
chaque semaine 150 ou 200 kilomètres... et une
bonne vitesse de base parce que 200 kilomètres à
une moyenne de 10 km/h, c'est quand même 20 heures d'entraînement
à caler dans la semaine.
Principes propres à l'ultra endurance
Pour multiplier les kilomètres au-delà
du raisonnable, il vous faudra privilégier l'endurance
plutôt que l'intensité. Selon Bruno Heubi, membre
de l'équipe de France de 100 km, il faut gérer
au mieux le compromis quantité-qualité.
Davantage de kilomètres entraînent nécessairement
moins de séances de vitesse. Ainsi, Bruno préconise
de maintenir malgré tout une séance de VMA tous
les 8-10 jours : "Il
y a une vie après l'ultra !". Dans
ce contexte, on fait donc moins de séances de fractionnés,
moins intenses aussi, mais les volumes des exercices fractionnés
augmentent.
Sur cette base, jusqu'où pousser la
logique de la sortie longue ? De nombreux coureurs d'ultra
en programment deux, voire trois dans la semaine. Assez peu
pratiquées par les marathoniens, ces répétitions
se casent souvent pendant le week-end. Un usage courant consiste
donc à aligner deux sorties longues :
le samedi, puis le dimanche. Celle du samedi est généralement
la plus longue. Repos le lundi, ou sortie légère.
Toujours plus loin ? Les sorties longues
pour l'entraînement à des épreuves par
étapes ou à des 12, 24, 48 heures et plus, peuvent
atteindre les 6 heures. Grâce à ces sorties
"ultralongues", l'ultrafondu pourra préparer
son organisme et son mental à tenir longtemps (et non
plus seulement "loin"), apprendre à manger,
s'habituer à la nuit et apprendre à marcher.
Et si vous avez encore de la place dans votre
emploi du temps, pensez aux sorties bi-quotidiennes.
Trente minutes le matin, une heure le soir, et ce sont 15
kilomètres effectués, avec une somme de fatigue
inférieure à celle d'1h30 de course d'une traite.
Exemple de programme, objectif "ligne
rouge"
A ce stade de la réflexion, un cycle
de trois fois quatre semaines démarrant à 82
kilomètres pourrait avoir cette tête... Le point
clé, c'est de trouver votre propre "ligne rouge"
(voir suite de l'article) et de vous y tenir.
|
Lun |
Mar |
Merc |
Jeu |
Ven |
Sam |
Dim |
Total |
S 1 |
1h footing
10 km |
Repos |
1h VMA long
12 km |
1h footing
10 km |
Repos |
3h
30 km |
2h
20 km |
8h
82 km |
S 2
|
1h
footing
10 km |
Repos |
1h VMA long
12 km |
1h30* foot.
15 km |
Repos |
3h30
35 km |
2
h
20 km |
9h
92 km |
S 3 |
1h
footing
10 km |
40' footing
6 km |
1h VMA long
12 km |
1h15 foot.
12 km |
Repos |
4h
40 km |
2h
20 km |
9h55
100 km |
S 4 |
Repos |
1h footing
10 km |
1h VMAcourt
12 km |
Repos |
1h footing
10 km |
Repos |
1h30
15 km |
4h30
47 km |
S 5 |
1h
footing
10 km |
40' footing
6 km |
1h VMA long
12 km |
1h15 foot.
12 km |
Repos |
4h
40 km |
2h
20 km |
9h55
100 km |
S 6 |
1h
footing
10 km |
1h footing
10 km |
1h VMA long
12 km |
1h30* foot.
15 km |
Repos |
4h
40 km |
2h
20 km |
10h30
107 km |
S 7 |
1h
footing
10 km |
1h footing
10 km |
1h VMA long
12 km |
1h30* foot.
15 km |
Repos |
4h30
45 km |
2h30
25 km |
11h30
117 km |
S 8 |
Repos |
1h footing
10 km |
1h VMAcourt
12 km |
Repos |
1h footing
10 km |
Repos |
1h30
15 km |
4h30
47 km |
S 9 |
1h
footing
10 km |
1h30* foot.
15 km |
1h footing
10 km |
1h30* foot.
15 km |
Repos |
4h30
45 km |
2h30
25 km |
11h30
120 km |
S 10 |
1h
footing
10 km |
1h30* foot.
15 km |
1h footing
10 km |
1h30* foot.
15 km |
40' footing
6 km |
5h
50 km |
2h30
25 km |
12h40
131 km |
S 11 |
1h
footing
10 km |
1h30* foot.
15 km |
1h footing
10 km |
1h30* foot.
15 km |
1h footing
10 km |
5h30
55 km |
2h30
25 km |
13h30
140 km |
S 12 |
Repos |
1h footing
10 km |
1h VMA long
12 km |
Repos |
1h footing
10 km |
Repos |
1h30
15 km |
4h30
47 km |
TOTAL GENERAL :
|
109h20
1130 km |
(Source : Ultrafondus)
Les séances marquées d'un astérisque (*)
peuvent être décomposées en deux, par exemple
30' le matin et 1h le soir.
Remarque 1 :
Commencer un tel programme de montée en charge suppose
que vous êtes capable d'encaisser sans problème
une semaine d'entraînement à 80 km de type marathon
(avec une VMA courte, une VMA longue, une sortie longue et
deux ou trois séances d'endurance fondamentale).
Remarque 2 : On se base ici sur une vitesse
de base en endurance fondamentale de 10 km/h. On peut
en fait considérer qu'il s'agit-là de l'allure
que l'on pourrait tenir sur un 100 km, sur un 12h ou
sur un 24h, c'est fonction de l'objectif.
Remarque 3 : Les séances
de VMA doivent être effectuées sans crispations,
en accélérations souples. Il est possible de
les remplacer par des séances d'endurance si besoin,
une semaine sur deux.
Remarque 4 : Les douleurs
sont normales, les douleurs à l'effort le sont moins,
les douleurs qui persistent au fil des jours ou s'aggravent
nécessitent l'allègement
du programme, voire l'arrêt. Ne pas hésiter,
par exemple, à faire des cycles de 3 semaines au lieu
de 4. De plus, il est fort probable que la majorité
des coureurs s'arrêteront à 8 semaines.
Remarque 5 : Ce programme
n'a pas pour objectif la compétition mais juste la
montée en charge. En fonction de vos sensations, vous
pouvez recommencer sur un autre cycle (déconseillé)
ou poursuivre sur des cycles de 4 semaines identiques à
S.5 -> S.8.
Remarque 6 : Plus
long mais moins risqué et plus efficace, vous pouvez
introduire une semaine de récupération-type
(celles qui font 47 km) entre chaque semaine de montée
en charge. Cela vous rajoute 6 semaines.
Pourquoi aller si loin ?
Si vous connaissez maintenant les pratiques
de montée en charge, reste à examiner leur justification...
ou leur non-justification. Outre Atlantique, on entend beaucoup
parler de la stimulation du système
endocrinien. Plus prosaïquement, disons que le
métabolisme s'adapte, notamment au niveau de sa réponse
hormonale à l'effort d'ultra endurance. De plus, on
améliore au fil des entraînements la capacité
de son organisme à stocker le glycogène. Le
physiologiste Al Claremont explique qu'avec des volumes d'entraînement
allant de 150 à 200 kilomètres, vous créez
un déficit chronique de ces stocks et forcez ainsi
votre organisme à compenser constamment.
En revanche, des études ont été
menées (William J. Fink) montrant que le doublement
du kilométrage n'avait généralement
aucun effet sur la consommation maximale d'oxygène
(VO2 Max). On doit donc chercher ailleurs les effets bénéfiques
de l'entraînement en volume. Quoiqu'il en soit, on peut
déjà pondérer cette remarque en soulignant
qu'une grosse base d'endurance permet de se renforcer et d'engager
un cycle de travail de vitesse sous les meilleurs auspices.
L'intérêt de monter sur un fort
kilométrage peut également être d'ordre
psychologique (Jack H. Wilmore). En effet, un fort volume
met les jambes un état de fatigue chronique. Et on
aboutit ainsi au même mécanisme que pour les
réserves de glycogène : le corps compense.
Ainsi les semaines d'affûtage (ou "tapering")
- basées sur la qualité et fortement allégées -
précédant une course vous amènent progressivement
à vous sentir plus fort. Et là, c'est dans la
tête que ça se passe. S'entraîner plus
de 150 kilomètres par semaine peut en conséquence
provoquer chez le coureur un net renforcement de sa confiance
en lui-même et en sa capacité à
finir un ultra.
S'arrêter avant l'autodestruction
L'ultrafond est un sport extrême. Il
est donc normal de s'entraîner pour s'y préparer.
Mais qui dit "extrême" dit "limite".
Lors de votre montée en charge, vous devrez rechercher
votre ligne rouge. Au-delà de ce point, c'est
l'autodestruction. Tout s'écroule comme un château
de cartes, aussi bien d'un point de vue physique (blessures)
que mental (lassitude, irritabilité) ou même
familial (... divorce !). Vous êtes seul à
savoir comment repouser cette ligne rouge. Vous êtes
seul à savoir "si" vous pouvez la repousser.
Le secret d'une montée en charge réussie, c'est
de la trouver.
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