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Jamel Balhi : "Un inconnu est un ami
qu'on n'a pas encore rencontré"
(mise à jour le samedi 23 mars 2002)

English VersionIl a fait le tour du monde sans assistance, relié les villes saintes, été emprisonné en Chine, traversé plus de 150 pays et parcouru 250 000 kilomètres en près de 15 ans. Jamel Balhi, né le 12 avril 1963 à Lyon a traversé la planète sans jamais se blesser. Lisez cet entretien en imaginant sa voix peu audible et sereine. Lisez cet entretien en imaginant la course à pied comme un moyen et non une fin. Et surtout comme un don qui lui a été offert par dame nature.

Propos recueillis par Philippe Giovanelli.
Photos : Jamel Balhi.


Appel !
Lorsqu'il revient en France, Jamel Balhi écume écoles, collèges, lycées et autres centres de conférences pour parler de ses voyages. A l'origine photographe professionnel, il montre également des images fantastiques. Si vous désirez l'écouter, le faire écouter, le connaître ou le faire connaître, contactez-le sur jamelistan@yahoo.com ou sur son site www.coureur-du-monde.org. Vous pouvez aussi écrire à UFO (ou pour tout autre commentaire), qui transmettra.

Je suis né le 12 avril 1963 à Lyon. Aujourd'hui, j'habite à Paris. Je suis photographe professionnel. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours couru...

UFO - Comment et pourquoi as-tu commencé à courir ?
Jamel Balhi
 - J'ai commencé à courir pour fuir. Courir pour partir. Fuir la société, fuir les choses quine me plaisaient pas, fuir l'ennui. Aller vers lesoleil, aller vers les gens sympathiques. Dans lemême état d'esprit que tu as quand tu pars en vacances. T'as envie de partir. Moi j'ai eu envie departir. Prendre des vacances éternelles. Mais c'était surtout par refus dela société, d'une forme de société qui poussait à consommer, à vivre comme des cons, suivre des modes à la con. Il y avait le désir d'Asie aussi, le désir d'aller en Asie.

C'était le trip "baba cool" ?
Oui. La culture hippie. C'était un idéal de vie.

Quand as-tu commencé à courir ?
J'ai toujours couru. Je n'ai jamais été canalisé dans une compétition. Je partais en courant à l'école. Je traversais les rues en courant. Dès 7, 8 ans, et en fait aussi loin que je me souvienne. Après il y a eu la compétition et comme j'étais trop marginal pour en faire…

Tu as donc décidé de partir en voyage…
Je voulais partir voir un copain en Chine, à Shangaï, qui mavait invité à boire une tasse de thé chez lui. Avant j'avais déjà voyagé un petit peu, en courant. Mais tout a démarré de ce voyage à Shangaï.

C'était en quelle année ?
J'ai eu l'idée en 1985 et je suis parti en 1987. Avant cela je me suis testé en allant à Istanbul en courant, puis à Amsterdam. J'ai également fait des tas de petites virées. Au moment de partir en Asie, je n'étais pas disposé à le faire, alors j'ai fait des petits voyages et décidé de partir à Istanbul un an avant, pendant l'été 1986.

Tu n'as pas eu de modèle, mais peut-être que c'est un livre en particulier qui t'a marqué ?
J'ai toujours aimé les romans qui racontent des exodes, des histoires de mecs enfermés en prison, la littérature de voyage dans le style hippie des années 70. Mais Kerouac, Ginsberg, la beat generetion, ça me gonfle un peu. Les Américains me gonflent un peu. Finalement, Kerouac, avec le recul, tu te dis que c'était un phénomène de masse. A l'époque, dans les années 50, t'avais une poignée de mecs un peu délurés comme lui, Burroughs, Ginsberg, etc. Ils ont mis sur pied un mouvement qui aurait pu être n'importe quoi. Les gens auraient adhéré parce que ces mecs-là présentent bien, ils savent vendre. Même si "Sur la route" est un hymne à la liberté, ça n'est plus valable aujourd'hui. Ce sont des histoires de beuveries et je ne pense pas que les hippies pourraient se reconnaître dans le "beat".

Tu dis que les américains te "gonflent" un peu, pourtant tu viens de traverser leur pays du nord au sud…
Je ne suis pas anti-américain mais je n'aime pas cet expansionnisme que je trouve vraiment envahissant. On n'a pas le choix. Mais je désirais mieux les connaître.

Ton film préféré est Américain, non ?
Oui, c'est Midnight Express.

Pendant qu'on y est... quel est ton groupe préféré ?
Pink Floyd, mais aussi des musiciens comme Bob Dylan.

Revenons à tes premiers voyages. Istanbul, c'était l'influence de Midnight Express ?
Non pas forcément. Midnight Express, c'est un peu aussi le trip hippie des années 60-70. C'est pas Midnight Express qui m'a fait courir… Je voulais courir en Europe avant de connaître l'Asie. Je cherchais une destination à peu près équivalente à deux ou trois mois de course. Des grandes vacances. Je passais mon bac à l'époque.

Dans quel état esprit es-tu parti lorsque tu es allé à Amsterdam, puis Istanbul ?
Quand je suis parti à Amsterdam, j'étais très bien physiquement et je savais, en ce qui me concernait il s'agissait juste d'une répétition d'efforts, un corps qui changeait. Le plus difficile pour moi était de me débrouiller avec l'inconnu. La course à pied ne posait pas de problème. Physiquement, ça va. C'est plus une question de "temps" de course… Entre le 60e et le 80e km, la différence n'est pas physique, elle est mentale. Il faut être capable de supporter deux heures de plus sur le macadam. C'est tout.

Quelle a été ta première course ?
J'avais 16 ans, c'était Saint-Etienne - Lyon. Une grande classique de 60 bornes qui a lieu tous les ans en décembre et qui réunit chaque année plusieurs milliers de coureurs. C'était en 1979, la première fois que je courais avec un dossard. J'ai terminé !

Tu avais quel entraînement ?
Que dalle. Treize mètres cinquante. Treize mètres cinquante, de la porte d''entrée de l'appartement où je vivais à Lyon jusqu'à la cheminée. Il y avait treize mètres cinquante. Je me suis amusé à courir jusqu'à la cheminée pour savoir si j'étais apte à m'inscrire aux 60 kilomètres. Quand je suis arrivé à la cheminée, je me suis dit "ça a l'air ok ".

Tu courais en club ?
Je courais au naturel. Je suis licencié en ce moment au club de Tremblay-en-France, parce que j'y ai des bons amis. J'ai pas besoin d'être catalogué coureur à pied pour courir. Je n'aime pas l'afficher.

Quels sont tes temps de référence ?
Mon dernier temps de référence sur marathon… ça fait plus de dix ans… ça doit être 2h25 ou 2h27… et sur 100 bornes… 7 heures et… je ne sais pas. J'ai d'ailleurs peut-être un défaut, c'est que je n'ai pas la hargne de gagner. Je m'en fous complètement. Je fais mon truc, je cours naturellement, par rapport à moi.

Pour faire 2h25 au marathon, tu as bien suivi un entraînement…
Oui mais j'avais des prédispositions. Quand je cours avec mon sac à dos je fais du 12 ou 13 km/h et quand je rentre, j'ai besoin de faire du fractionné, de la piste, des 400m, des 1000m en répétition. J'y allais surtout au feeling.

Combien d'ultras tu as terminés ?
Je serais incapable de te dire ça par exemple.

Comment est-ce que tu te positionnes par rapport aux autres coureurs d'ultras ?
On est de la même famille. J'ai fait trois fois le marathon des Sables, en 1992, 1993 et 1995. Il y a une étape de 70 bornes, qui est l'épreuve reine du marathon. En 95, j'ai fini premier devant le champion russe des 100 km. Ce jour-là, c'était le mien. D'ailleurs, on m'attendait au tournant. On me connaît dans le milieu pour faire mes trucs en solitaire. Une autre anecdote… C'était en 1996, peu après mon départ pour relier les villes saintes en courant, j'étais à l'auberge de jeunesse d'Angoulême, avec très peu de monde. Il y avait un coureur à pied qui passait là, avec toute une équipe, un kiné, un diététicien, un nutritionniste, etc. C'était un coureur très connu, un mec bon, qui a des références, des titres, des médailles. Il me connaissait. On se croise à l'auberge de jeunesse. Son docteur n'était pas très content parce que les pommeaux de douches ne pouvaient pas se détacher. Moi je partais pour presque 20 000 km de course à pied. J'arrivais de Paris, j'étais parti depuis quelques jours. On a sympathisé mais sans plus. Il savait exactement ce que j'étais en train de faire mais il ne m'a posé aucune question. Il ne m'ont pas invité à venir avec eux au resto. Moi je n'étais rien là-dedans. On m'a complètement ignoré et pourtant ils savaient bien ce que je faisais.

Donc tu te sens de la même famille dans l'esprit mais quand même assez loin d'eux dans la réalité…
Oui. Je me sens de la même famille parce que j'utilise mes deux jambes pour avancer.

Comment est-ce que tu calcules tes distances quand tu cours ?
Avec les cartes routières. En ce moment, je cours beaucoup au Parc des Buttes-Chaumont, à Paris, mais jamais plus de 20 km. Pour les distances supérieures, je vais plutôt avoir tendance à relier deux villes

Est-ce que les gens te reconnaissent lorsque tu cours dans le parc ?
Oui, souvent. Il s'agit en général de joggers. Il ne veulent pas me déranger. Il y a ceux qui me disent juste bonjour et ceux qui ne me disent rien parce qu'ils sont gênés. Je suis pas Yannick Noah non plus… A mon niveau c'est vivable.

Ce que tu aimes dans ton mode de vie, c'est surtout te distinguer ? Ne pas faire comme les autres ?
Oui, j'ai toujours ce désir de ne pas suivre les autres. Si on fait quelque chose, je n'ai pas forcément envie de faire le contraire mais j'ai envie de faire différemment. Faire le contraire, c'est déjà une manière de conditionner ses choix.

Plus anecdotique, comment fais-tu pour changer de chaussures quand tu te retrouves au Tibet et que ta paire est HS ?
Nike France me suit dans toutes mes courses. Ils m'ont toujours épaulé et m'envoient des chaussures en poste restante. Les pompes, c'est pas tellement un problème. Il m'est arrivé de ne pas en avoir, de ne pas pouvoir en recevoir… on prend n'importe quoi. Avec une paire, je fais entre 2 000 et 2 500 kilomètres. Quand il fait chaud, quand il fait 40 degrés, le macadam est brûlant et cela use davantage la semelle extérieure. Les pistes aussi usent beaucoup les chaussures, plus que les routes classiques.

Quelle est ta surface préférée ?
La route. Les grands axes. C'est mon univers. Ce qui a influencé mon choix vers la course à pied longue distance, c'est la route. C'est ce que j'aime. Elle unit tous les hommes. J'aime l'univers de la route, les camions, les odeurs d'essence, les stations service…

Tu ne peux pas partir sans ton café le matin. Est-ce que tu prends les précautions habituelles chez les coureurs à pied : étirements, échauffement, etc. ?
Je pars comme un chat. Je pars lentement. Mon réveil musculaire se fait dans les premiers kilomètres. Je ne m'étire pas. Je suis complètement raide mais j'ai le gabarit qu'il faut pour courir. Je peux pas lever la jambe mais tant pis, je n'en ai pas besoin. J'ai laissé faire les choses naturellement. Faire des étirements, c'est bien mais il faudrait que je fasse ça tout le temps. Ça n'a pas de sens de faire une séance d'étirements par semaine, du moins en ce qui me concerne. Soit je le fais tous les jours, soit je le fais pas. J'ai choisi de pas le faire.

Tu as un rituel particulier avant de partir ?
Un café, deux, trois cafés avant de partir. Je ne mange quasiment rien avant onze heures ou midi. Après vingt bornes, je commence à manger quelque chose. Même quand je fais marathon ou une compétition, je ne mange rien le matin.

Tu me disais que tu n'avais pas spécialement besoin de phases de récupération, que tu avais surtout, assez rarement, des coups de pompe dus au manque d'énergie, voire à la malnutrition. Pendant tes voyages, est-ce qu'il y a des moments où tu t'es dit qu'il fallait que tu coupes parce que sinon ça allait mal aller ?
Non, ça n'est pas tellement physiquement. C'est plutôt le ras-le-bol, parfois. C'est mental. Les campagnes aussi. C'est dur de vivre dans les campagnes. C'est répétitif. Surtout dans les pays monoculture où l'on va trouver un seul régime politique, une seule religion, un seul plat culinaire, une seule langue… Tu rencontres des gens qui finalement se ressemblent tous.

De ce point de vue, quel pays a été particulièrement difficile ?
La Chine. Les gens n'étaient pas faciles. Ils se ressemblent tous. Pas physiquement, mais ils sont hostiles, pas hospitaliers. Il y a eux d'un côté et l'étranger de l'autre. Quand tu es là-bas on te le fait toujours ressentir. J'ai passé un an dans le pays et je n'ai eu que très peu de bonnes expériences. Le soir, dans un pays comme ça, tu vas plutôt à l'hôtel que chez l'habitant.

L'hôtel… justement, comment te finances-tu ? On ne voit pas de sponsor sur tes photos…
Je fais beaucoup de conférences, des projections. En ce moment je bouge beaucoup. Je m'y rends en train, avec des boîtes de diapos et des bouquins. Je me fais connaître par le bouche à oreille. Je présente l'ensemble de mes voyages avec les photos. Des gamins de tous les âges sont vraiment attentifs. Je crois que les profs ont compris cela. Ce sont souvent les mêmes personnes que je retrouve après chaque voyage. Des gens me suivent régulièrement.

Ce sont des fans ? Comment expliques-tu l'admiration que tu peux susciter chez les gens ?
Je n'ai pas de fan club mais je suis très content, je colporte quelque chose de positif. Je colporte quelque chose, sans doute, d'extraordinaire, mais cela correspond à mon ordinaire à moi. Et puis, on vit une époque où tout est compliqué et où on attend le compliqué. Tout évolue très vite et tout est formaté pour gagner de l'argent, ce qui n'est pas mon cas. Je ne cours pas après l'argent et, si tu regardes aujourd'hui, tout ce qu'on nous fait aimer, tout ce qui fonctionne, tout ce qui est positif, c'est pour gagner de l'argent.

C'est quelque chose qui te gêne ?
C'est quelque chose que je fuis. Je vais vers les choses gratuites et simples. Le problème c'est que les gens ont des rêves. Moi je n'ai pas de rêve, je ne les vis pas, je vis, tout court. Je n'ai pas de rêve sauf quand je dors. J'ai des ambitions, j'ai des projets concrets mais ce n'est pas du rêve.

Une autre énigme concerne ton sac à dos. Que contient-il ?
Mon matériel photo, un pantalon, un pull léger et un petit vêtement pour la pluie.

Tu rencontres pourtant des températures extrêmes. Comment fais-tu ?
Cela me suffit car je choisis mes saisons. Pour mon dernier voyage, la traversée du continent américain du nord au sud, je suis parti d'Anchorage en Alaska. C'était le printemps et il faisait 10 ou 15 degrés dans la journée. A contrario, on peut aussi avoir très chaud. Le maximum que j'ai connu, c'était 58 degrés, dans le désert du Taklamakan en Chine occidentale, sur la route de la soie. J'ai beaucoup marché.

Est-ce que tu t'es déjà senti en danger dans des situations comme celle là ?
Non. J'emprunte les routes et je trouve toujours un camion à arrêter. Il suffit de montrer la gourde. Au Tibet, ils te donnent de l'alcool d'orge. Sinon, en Chine, il y en a pas mal qui donnent de la bière. Les chauffeurs donnent un peu ce qu'ils boivent au volant.

Ça hydrate pas trop ça… et c'est diurétique…
Il y a toujours un peu d'eau quand même…

Est-ce qu'il t'est arrivé, au cours de tes voyages, te rencontrer des peuplades pour lesquelles la course à pied représentait un acte naturel ?
Non. Je quitte peu la route donc je ne suis pas vraiment amené à aller au fin fond du pays ni dans les coins très retirés ou les pistes. J'ai un point de vue du pays depuis la route. Qui dit route dit "passage" et "civilisation".

Penses-tu au jour où tu vas devoir arrêter de courir ?
Non. Un jour pour moi c'est aujourd'hui. On m'a posé cette question il y a dix ans. Je pousse pas la machine, je me pousse pas comme un fou.

Ton prochain projet ?
Je pars début avril sur la nationale 7. Le temps de finir mon livre en cours.

Est-ce que tu as une devise, un credo qui te guide ?
"Un inconnu est un ami qu'on n'a pas encore rencontré." J'étais dans un bar au Danemark, il pleuvait, je venais de finir une étape et je ne savais pas trop où dormir. Je restais là, je socialisais avec les gens qui étaient là. C'était un petit village. Je commande une bière, je sympathise avec mon voisin de comptoir et il me propose de venir dormir une nuit chez lui. Je lui demande alors pourquoi et il me répond que pour lui un inconnu était un ami qu'il n'avait pas encore rencontré. J'ai gardé cette phrase en tête. J'ai besoin qu'on me dise ça sur la route pour être bien.

Tu parles beaucoup de tes rencontres et peut de course à pied dans tes livres. C'est parfois un peu frustrant…
Et pourtant, c'est la course à pied qui m'a emmené partout où je suis allé.

 
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