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Hannibal et ses éléphants, les
puissants généraux romains Pompée et
César, Pépin le Bref et,
beaucoup plus tard, Napoléon, tous guerriers, ont traversé
les Alpes.
Ce massif, en apparence imprenable, aura tout
au long de l'histoire joué le rôle de frontière.
On aurait pu le croire suffisamment difficile d'accès
pour défendre les territoires qu'il limite et contenir
les velléités des envahisseurs. Tel ne fut pas
le cas : il fallut l'armer, le doter d'une puissante ceinture
de fortifications. Fortifications
Le mot est lâché.
Le fort de Fort'iche ne signifie pas " costaud ",
mais fait simplement référence aux 14 forts
et redoutes que traverse cette épreuve désormais
mythique, crée
en 2000 par Raymond Ramina et son équipe.
La première édition, en 2000,
réunissant une centaine de coureurs, se terminait dans
le brouillard et la déroute. Un seul franchissait la
ligne d'arrivée. La Légende était née.
L'édition 2001 marquera définitivement les esprits
par une météo exceptionnelle et son lot d'abandons.
La Fort'iche devenait, en une poignée d'heures, le
rêve ultime de quelques ultra marathoniens en quête
de sensations fortes.
Valloire (73), Samedi 20 juillet 2002,
5 heures du matin
Deux cent guerriers du troisième millénaire,
venus de dix nations, patientent en silence sur la place du
village. Ces hommes là vont eux aussi traverser les
Alpes, mener leur guerre, repousser leurs propres limites
sportives et humaines. Ce bataillon a, quelques minutes plus
tôt, écouté dans un silence poignant les
dernières consignes de sécurité du directeur
de course Ramina : ici, on ne plaisante pas avec la vie des
hommes.
Le décompte
3, 2, 1
Dans
un grand cri de libération, les coureurs se jettent
dans la bataille sous les applaudissements de quelques rares
spectateurs qui ont osé braver le froid. C'est parti
pour 120 kilomètres de lutte avec soi-même, 7500
mètres de dénivelé positif à souffrir.
L'itinéraire comporte 8 cols dont 5 à plus de
2700 mètres d'altitude, 2 sommets avec le terrible
Mont Froid (2822 m), qui, au quatre-vingt cinquième
kilomètre, marquera les esprits plus profondément
encore que le point culminant de la course, le Malamot (2915
m) au kilomètre 105.
"Fine, fine..."
Comme à mon habitude, je pars très
tranquillement, en marchant presque. Devant, le premier kilomètre
est franchi au rythme du semi-marathon. Les premiers hommes,
Bruno Croset en tête, atteignent le col des
Rochilles (2430 m, kilomètre 11) puis le col de la
Plagnette (2530 m, Km 12) alors que le soleil se lève
tout juste sur l'Aiguille noire.
A mes côtés, c'est le silence.
Chacun est concentré sur soi, sur sa foulée.
On s'économise déjà. On pense aux difficultés
qui nous attendent plus tard, ce soir, lorsque le soleil aura,
lui, terminé sa rotation diurne. Première descente.
Retour sur Valloire par le vallon de l'Aiguille noire. Je
me détends un peu. Je me lâche même dans
ce superbe toboggan naturel où la lumière de
l'aube fait luire la végétation multicolore
recouverte d'un fin duvet de rosée. Il fait frais,
je me sens bien. J'ai le sentiment de vivre un moment intense,
unique.
Les heures s'égrènent, silencieuses.
Après le troisième ravitaillement, au cur
de la station de Valmeinier 1800, au trentième kilomètre,
on s'engage sur les pistes de ski. Direction le Col des Marches
(2725 m). C'est le premier véritable obstacle de la
course : 1300 mètres de dénivelé continu
sous un soleil désormais haut dans le ciel. La montée
est longue, intense. Je dépasse un anglais qui semble
à bout de forces et lui demande : "
How are you doing ? " "
Fine, fine ", me répond-t-il mais ses gestes
trahissent son épuisement. Est-ce ce même anglais
qu'un hélicoptère de la gendarmerie nationale
passera deux heures à rechercher dans le massif de
la Haute-Maurienne ? J'apprendrai bien plus tard que non.
L'homme s'est perdu dès le col des Rochilles, confondant
le balisage de la Fort'iche avec le balisage de la Fila Sky
Race, qui passait là le week-end précédent.
Rencontre avec un pêcheur
Nouvelle descente, plus difficile. Le balisage
au sol est parfait. La sueur qui ruisselle de ma casquette
brûle les yeux mais ne m'empêche pas de voir à
chaque instant les traces et flèches oranges qui marquent
l'itinéraire. Ravitaillement du lac de Bissorte. Une
fois de plus, nous sommes admirablement accueillis. J'ai réellement
envie de couvrir d'éloges les deux cents bénévoles
répartis tout au long du parcours, ces hommes et ces
femmes qui contribuent avant tout au succès d'une telle
épreuve. Ils sont merveilleux. On se sent avec eux
comme chez soi. Ils réconfortent, motivent, guérissent
les douleurs de l'âme, redonnent soif à l'aventure.
Direction Col des Bataillères (2804
m). Je suis seul maintenant. Mes compagnons de "combat"
ne sont pas encore tombés mais souffrent déjà
des 45 kilomètres déjà couverts. Je rattrape
un pêcheur équipé d'un lourd matériel
: il monte taquiner la truite au lac des Bataillères.
On échange quelques mots, il m'encourage, me félicite.
Il me réchauffe le cur. Alors que je franchis
le col, l'immense aiguille du Cheval blanc (2813 m) se dresse
devant moi, majestueuse. Le paysage unique qui s'ouvre à
moi restera à jamais gravé dans ma mémoire.
Descente aux Enfers
La descente que j'aborde maintenant n'est pas
la plus difficile, mais sans aucun doute
la plus longue : 14 kilomètres, 1740 mètres
de dénivelé négatif. Une plongée
aux enfers, au sens propre du terme. Est-ce un trait d'esprit
de Thierry Mermoz, le traceur du parcours, ou le pur fruit
du hasard ? Au fond de la vallée, on rejoint le village
"Le Fourneau", dans une chaleur étouffante
de début d'après-midi. Le vent glacial des sommets
a, en à peine plus d'une heure, cédé
place à la canicule. Ici, beaucoup de coureurs déposeront
les armes, victimes d'un coup de chaleur, secoués par
la température insoutenable du bitume de la RN6 lors
de la traversée de Modane.
C'est avec une joie non dissimulée
que j'atteins enfin Avrieux, lieu du plus gros ravitaillement,
au soixante et onzième kilomètre, après
9:44 d'effort. On me pèse (je n'ai pas perdu 1 gramme
!), mesure mon taux de glycémie. Une jolie doctoresse
me confirme que je suis encore " bon pour le service
".
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