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La Fort'iche d'Eric Bonnotte (1/2)
Sur les traces d'Hannibal
(mis en ligne le dimanche 29 septembre 2002)
Spécialiste des ultra trails et habitant du Doubs, Eric Bonnotte finit régulièrement sur le podium, ou pas très loin. Cette fois, c'est à la Fort'iche qu'il s'attaque. Nous sommes le 20 juillet 2002 et notre coureur solitaire nous fait revivre une course menée de pied de maître. Sur les traces des grands guerriers qui tous ont dû souffrir pour traverser la barrière alpine.

Textes : Eric Bonnotte (Coureursolitaires)
Photos : Eric Bonnotte, Muriel Bonnotte, Bernard Grange


Sur Ultrafondus
La présentation détaillée de la Fort'iche de Maurienne. > lire
Les deux derniers mois d'entraînement d'Eric.
Ses conseils et ses trucs pour assurer comme une bête.

En savoir plus
La fiche d'identité d'Eric sur le forum de l'ultra.
Tout sur la Fort'iche de Maurienne : site officiel.


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Hannibal et ses éléphants, les puissants généraux romains Pompée et César, Pépin le Bref et, beaucoup plus tard, Napoléon, tous guerriers, ont traversé les Alpes.

Ce massif, en apparence imprenable, aura tout au long de l'histoire joué le rôle de frontière. On aurait pu le croire suffisamment difficile d'accès pour défendre les territoires qu'il limite et contenir les velléités des envahisseurs. Tel ne fut pas le cas : il fallut l'armer, le doter d'une puissante ceinture de fortifications. Fortifications… Le mot est lâché. Le fort de Fort'iche ne signifie pas " costaud ", mais fait simplement référence aux 14 forts et redoutes que traverse cette épreuve désormais mythique, Les Aiguilles d'Arvescrée en 2000 par Raymond Ramina et son équipe.

La première édition, en 2000, réunissant une centaine de coureurs, se terminait dans le brouillard et la déroute. Un seul franchissait la ligne d'arrivée. La Légende était née. L'édition 2001 marquera définitivement les esprits par une météo exceptionnelle et son lot d'abandons. La Fort'iche devenait, en une poignée d'heures, le rêve ultime de quelques ultra marathoniens en quête de sensations fortes.

Valloire (73), Samedi 20 juillet 2002, 5 heures du matin

Deux cent guerriers du troisième millénaire, venus de dix nations, patientent en silence sur la place du village. Ces hommes là vont eux aussi traverser les Alpes, mener leur guerre, repousser leurs propres limites sportives et humaines. Ce bataillon a, quelques minutes plus tôt, écouté dans un silence poignant les dernières consignes de sécurité du directeur de course Ramina : ici, on ne plaisante pas avec la vie des hommes.

Le décompte… 3, 2, 1… Dans un grand cri de libération, les coureurs se jettent dans la bataille sous les applaudissements de quelques rares spectateurs qui ont osé braver le froid. C'est parti pour 120 kilomètres de lutte avec soi-même, 7500 mètres de dénivelé positif à souffrir. L'itinéraire comporte 8 cols dont 5 à plus de 2700 mètres d'altitude, 2 sommets avec le terrible Mont Froid (2822 m), qui, au quatre-vingt cinquième kilomètre, marquera les esprits plus profondément encore que le point culminant de la course, le Malamot (2915 m) au kilomètre 105.

"Fine, fine..."

Comme à mon habitude, je pars très tranquillement, en marchant presque. Devant, le premier kilomètre est franchi au rythme du semi-marathon. Les premiers hommes, Bruno Croset en tête, atteignent le col Un des trois lacs près du col des Rochillesdes Rochilles (2430 m, kilomètre 11) puis le col de la Plagnette (2530 m, Km 12) alors que le soleil se lève tout juste sur l'Aiguille noire.

A mes côtés, c'est le silence. Chacun est concentré sur soi, sur sa foulée. On s'économise déjà. On pense aux difficultés qui nous attendent plus tard, ce soir, lorsque le soleil aura, lui, terminé sa rotation diurne. Première descente. Retour sur Valloire par le vallon de l'Aiguille noire. Je me détends un peu. Je me lâche même dans ce superbe toboggan naturel où la lumière de l'aube fait luire la végétation multicolore recouverte d'un fin duvet de rosée. Il fait frais, je me sens bien. J'ai le sentiment de vivre un moment intense, unique.

Les heures s'égrènent, silencieuses. Après le troisième ravitaillement, au cœur de la station de Valmeinier 1800, au trentième kilomètre, on s'engage sur les pistes de ski. Direction le Col des Marches (2725 m). C'est le premier véritable obstacle de la course : 1300 mètres de dénivelé continu sous un soleil désormais haut dans le ciel. La montée est longue, intense. Je dépasse un anglais qui semble à bout de forces et lui demande : " How are you doing ? " " Fine, fine ", me répond-t-il mais ses gestes trahissent son épuisement. Est-ce ce même anglais qu'un hélicoptère de la gendarmerie nationale passera deux heures à rechercher dans le massif de la Haute-Maurienne ? J'apprendrai bien plus tard que non. L'homme s'est perdu dès le col des Rochilles, confondant le balisage de la Fort'iche avec le balisage de la Fila Sky Race, qui passait là le week-end précédent.

Rencontre avec un pêcheur

Nouvelle descente, plus difficile. Le balisage au sol est parfait. La sueur qui ruisselle de ma casquette brûle les yeux mais ne m'empêche pas de voir à chaque instant les traces et flèches oranges qui marquent l'itinéraire. Ravitaillement du lac de Bissorte. Une fois de plus, nous sommes admirablement accueillis. J'ai réellement envie de couvrir d'éloges les deux cents bénévoles répartis tout au long du parcours, ces hommes et ces femmes qui contribuent avant tout au succès d'une telle épreuve. Ils sont merveilleux. On se sent avec eux comme chez soi. Ils réconfortent, motivent, guérissent les douleurs de l'âme, redonnent soif à l'aventure.

Direction Col des Bataillères (2804 m). Je suis seul maintenant. Mes compagnons de "combat" ne sont pas encore tombés mais souffrent déjà des 45 kilomètres déjà couverts. Je rattrape un pêcheur équipé d'un lourd matériel : il monte taquiner la truite au lac des Bataillères. On échange quelques mots, il m'encourage, me félicite. Il me réchauffe le cœur. Alors que je franchis le col, l'immense aiguille du Cheval blanc (2813 m) se dresse devant moi, majestueuse. Le paysage unique qui s'ouvre à moi restera à jamais gravé dans ma mémoire.

Descente aux Enfers

La descente que j'aborde maintenant n'est pas la plus difficile, mais sans aucun doute la plus longue : 14 kilomètres, 1740 mètres de dénivelé négatif. Une plongée aux enfers, au sens propre du terme. Est-ce un trait d'esprit de Thierry Mermoz, le traceur du parcours, ou le pur fruit du hasard ? Au fond de la vallée, on rejoint le village "Le Fourneau", dans une chaleur étouffante de début d'après-midi. Le vent glacial des sommets a, en à peine plus d'une heure, cédé place à la canicule. Ici, beaucoup de coureurs déposeront les armes, victimes d'un coup de chaleur, secoués par la température insoutenable du bitume de la RN6 lors de la traversée de Modane.

C'est avec une joie non dissimulée que j'atteins enfin Avrieux, lieu du plus gros ravitaillement, au soixante et onzième kilomètre, après 9:44 d'effort. On me pèse (je n'ai pas perdu 1 gramme !), mesure mon taux de glycémie. Une jolie doctoresse me confirme que je suis encore " bon pour le service ".

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